La démocratie en Iran, pas la guerre
Trois cents intellectuels appellent l’ONU à faire pression pour les droits de l’homme sans se focaliser sur le nucléaire.
Par Akbar Ganji, journaliste
iranien, avec Isabel Allende, Noam Chomsky, J.M. Coetzee, Umberto Eco,
Nadine Gordimer, seamus heaney, Orhan Pamuk, Mario Vargas Llosa…
QUOTIDIEN : mardi 25 septembre 2007
A son excellence Ban Ki-moon, secrétaire général de l’Organisation des Nations unies.
Les Iraniens se
trouvent pris dans un contexte international et une situation
intérieure exceptionnels. D’une part, ils sont menacés par le risque
d’une attaque américaine et des sanctions économiques étendues du
Conseil de sécurité ; d’autre part, un gouvernement despotique les
soumet à la terreur d’une répression systématique et organisée.
Non seulement le
gouvernement américain, tout au long de ce demi-siècle, n’a pas aidé au
progrès de la démocratie en Iran, mais il a porté préjudice aux forces
démocratiques iraniennes. Le coup d’Etat contre le gouvernement
patriote et démocratique de Mossadegh et le soutien inconditionnel au
régime despotique du chah, gendarme de l’Amérique dans le golfe
Persique, ne sont qu’un aspect de cette politique injuste et
contestable. L’opposition frontale entre les gouvernements américain et
iranien au cours des trois dernières décennies a encore aggravé la
situation des partisans des droits de l’homme en Iran. Dans ce
contexte, au nom du danger que la politique américaine représente pour
l’Iran, le gouvernement iranien consolide le pouvoir des forces
militaro-sécuritaires, ferme toutes les sources indépendantes
d’information à l’intérieur du pays et réprime tous les activistes des
droits de l’homme comme autant d’ennemis de la nation.
En votant un budget
censé aider la démocratie en Iran, qui, de fait, est dépensé par les
institutions et des médias officiels rattachés au gouvernement
américain, celui-ci a donné au gouvernement iranien un prétexte pour
qualifier ses opposants d’agents américains et pour les réprimer plus
aisément. Par ailleurs, l’éventualité d’une attaque militaire
américaine contre l’Iran complique la tâche des défenseurs des droits
de l’homme en Iran. Aucun Iranien n’accepte que se répète dans son pays
ce qui s’est passé en Irak et en Afghanistan.
Les forces
démocratiques iraniennes considèrent avec beaucoup d’inquiétude le
soutien apporté par certains cercles américains à des mouvements
séparatistes en Iran. Préserver l’unité territoriale est important pour
tous les défenseurs des droits de l’homme en Iran. Nous voulons la
démocratie pour l’Iran et pour tous les Iraniens. Dans le même temps,
nous sommes convaincus que la décomposition territoriale des pays du
Moyen-Orient produira des conflits étendus et de longue durée. Afin
d’aider à la démocratisation de la région, le gouvernement américain
pourrait encourager la paix entre les Israéliens et les Arabes et
contribuer à la création d’un Etat palestinien véritablement
indépendant au côté de l’Etat indépendant d’Israël. Une résolution
juste du conflit entre Arabes et Israéliens et la création d’un Etat
palestinien indépendant porteront un coup fatal au fondamentalisme et
au terrorisme au Moyen-Orient.
Les conflits entre le
gouvernement iranien et l’Occident ont détourné l’attention mondiale,
en particulier celle de l’Organisation des Nations unies, des
conditions insupportables que le régime iranien impose à la population.
La querelle au sujet de la suspension de l’enrichissement de l’uranium
ne doit pas faire oublier que la révolution de 1979, bien qu’elle fût
populaire, n’a en rien abouti à la formation d’un système démocratique
ni à la reconnaissance des droits de l’homme.
Le gouvernement iranien
est un gouvernement religieux fondamentaliste qui ne reconnaît pas la
sphère privée, qui a toujours réprimé et réprime encore la société
civile et les droits de l’homme.
Des milliers de
prisonniers politiques ont été exécutés sans procès équitable au cours
de la première décennie après la révolution, et des dizaines de
dissidents ont été assassinés au cours la deuxième décennie après la
révolution islamique. Les journaux indépendants sont fermés les uns
après les autres et les journalistes, jetés en prison. Tous les sites
d’information sont filtrés et les livres sont soit interdits de
publication, soit censurés avant publication. Les femmes subissent une
discrimination juridique, celles qui réclament l’égalité des droits
avec les hommes sont accusées de conspirer contre la sécurité de l’Etat
et soumises à de multiples pressions et à des peines illégales, y
compris la prison.
Dans la première
décennie du XXIe siècle, la lapidation (la pire des tortures avant la
mort) fait partie des peines pouvant légalement être infligées aux
citoyens de l’Iran. Les enseignants qui avaient protesté pacifiquement
contre leurs conditions de vie ont été licenciés, affectés loin de leur
lieu de vie ou jetés en prison. Les ouvriers iraniens sont privés du
droit de former des syndicats indépendants. Les ouvriers qui ont tenté,
pour défendre leurs droits syndicaux, de former des associations
professionnelles ont été violentés et jetés en prison.
Au cours des dernières
années, les étudiants iraniens ont été les principales victimes de la
répression qui frappait les défenseurs de la liberté et des droits de
l’homme. L’appareil sécuritaire dépendant du gouvernement procède à une
sélection idéologique à l’entrée de l’université. Une fois à
l’université, les étudiants n’ont aucun droit de critiquer
pacifiquement le gouvernement. Si leurs activités déplaisent aux
dirigeants, ils sont renvoyés de l’université et souvent jetés en
prison. Depuis un quart de siècle, le régime islamique procède au
renvoi des professeurs dissidents de l’université.
Dans les prisons, les
opposants sont forcés de confesser des crimes qu’ils n’ont pas commis,
de se repentir, et ces aveux fabriqués obtenus sous pression sont
retransmis à la télévision selon des procédés staliniens.
En Iran, il n’existe
pas d’élections libres. Il y a en revanche des semblants d’élections
organisées dans la fraude. Même les personnes qui parviennent au
Parlement ou au pouvoir exécutif dans ces conditions n’ont pas beaucoup
de pouvoir. Tout le pouvoir légal et officieux se trouve concentré dans
les mains du «Guide», qui règne à la manière des sultans despotiques.
En Iran, les dissidents
sont légalement privés du droit de vivre. Selon l’article 226 de la
juridiction islamique, toute personne qui considère un citoyen digne de
mourir (mahdurodam) a le droit de le tuer. Au cours des années
passées, de nombreux dissidents et opposants ont été tués conformément
à cet article, et les criminels ont été relaxés par les tribunaux. Dans
ces conditions, aucun dissident n’a le droit de vie puisque, selon la
juridiction islamique, la définition de mahdurodam est très large.
En Iran, les écrivains
sont légalement interdits de publication. Selon l’alinéa 8 de
l’article 2 de la juridiction sur la presse, les écrivains qui sont
condamnés pour propagande contre le régime n’ont le droit d’exercer
aucune activité dans les médias jusqu’à la fin de leur vie. De nombreux
écrivains et prisonniers ont été condamnés dans les tribunaux pour
propagande contre le régime. Les jugements des tribunaux montrent que
toute critique d’une institution gouvernementale est considérée comme
une propagande contre le régime.
Les forces
démocratiques iraniennes et le peuple iranien se trouvent dans une
situation très difficile. Ils ont besoin du soutien moral et spirituel
de tous les démocrates du monde et de l’intervention efficace de
l’Organisation des Nations unies.
Nous refusons toute
attaque militaire contre l’Iran. Dans le même temps, nous vous
demandons à vous, secrétaire général de l’ONU, ainsi qu’à tous les
intellectuels et à tous les démocrates du monde de condamner moralement
le régime iranien, qui bafoue les droits de l’homme. Nous vous
demandons qu’en tant que secrétaire général des Nations unies vous
condamniez le gouvernement iranien pour sa violation de la déclaration
universelle des droits de l’homme et des autres conventions
internationales relatives à ces droits. Nous espérons que, grâce à
votre intervention rapide, les prisonniers politiques qui se trouvent
chaque jour dans des conditions plus difficiles soient libérés.
Le peuple iranien se
demande si l’efficacité et la fermeté du Conseil de sécurité des
Nations unies se limite à la suspension de l’enrichissement de
l’uranium, et si les Nations unies trouvent insignifiante la vie des
Iraniens, dont les droits élémentaires sont chaque jour plus bafoués.
La liberté, la démocratie et les droits de l’homme sont les droits
évidents du peuple iranien. Nous, Iraniens, espérons que les Nations
unies, ainsi que toutes les institutions et toutes les personnes qui
défendent la démocratie et les droits de l’homme, manifestent leur
soutien pour le mouvement démocratique du peuple iranien.
La liste complète des 300 cosignataires de ce texte est consultable sur Libération.fr.
http://www.liberation.fr/rebonds/280545.FR.php
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